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CORRESPONDANCE

648. À MADEMOISELLE AMÉLIE BOSQUET.
Croisset, mercredi matin [juillet 1860].

Vous recevrez peu de temps après ce billet (ou peut-être avant lui) le livre de Feydeau[1] et des fragments de Monsieur Antoine [sic], que j’ai retrouvés non sans peine.

Ne m’accusez pas ! J’ai eu, l’autre dimanche, une grande désillusion sous votre porte cochère. Vous m’aviez dit que vous restiez chez vous tous les dimanches, et j’étais venu ce jour-là à 3 heures, espérant bavarder en votre compagnie jusqu’à 7.

Je suis présentement accablé de fatigue, je porte sur les épaules deux armées entières : trente mille hommes d’un côté, onze mille de l’autre, sans compter les éléphants avec leurs éléphantarques, les goujats et les bagages !

Il faut que j’aille à Paris avant le 15 août (toujours pour Carthage). Or, je voudrais avoir terminé mon chapitre pour cette époque, et je travaille furieusement.

Mais quand je songe qu’on ne me tiendra aucun compte de toute la peine que je me donne, et que le premier venu, un journaliste, un idiot, un bourgeois, trouvera, sans se gêner (et justement peut-être), quantité de sottises dans ce qui me paraît le meilleur… j’entre dans une mélancolie sans fond, j’ai des tristesses d’ébène, une amertume à en crever, des angoisses qui me ballottent comme sur un océan d’immondices.

  1. Catherine d’Overmeire.