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CORRESPONDANCE

chapitre ix et je prépare les x et xi que je ferai cet hiver, ici, tout seul, comme un ours.

Je me livre maintenant à quantité de lectures que j’expédie voracement. Voilà trois ans que je ne fais qu’avaler du latin (et chemin faisant, je continue mes petites études chrétiennes). Quant au Carthaginois, je crois franchement avoir épuisé tous les textes. Il me serait facile de faire, derrière mon roman, un très gros volume de critique avec force citations. Ainsi, pas plus tard qu’aujourd’hui, un passage de Cicéron m’a induit à supposer une forme de Tanit que je n’ai vue nulle part, etc., etc. Je deviens savant et triste ! Oui, je mène une sacrée existence et j’étais né avec tant d’appétits ! Mais la sacrée littérature me les a tous rentrés au ventre.

Je passe ma vie à me mettre des cailloux sur le creux de l’estomac pour m’empêcher de sentir la faim. Ça m’embête quelquefois.

Quant à la copie (puisque c’est là le terme), je n’en sais franchement que penser. J’ai peur de retomber dans des répétitions d’effets continuelles, de ressasser éternellement la même chose. Il me semble que mes phrases sont toutes coupées de la même façon et que cela est ennuyeux à crever. Ma volonté ne faiblit pas cependant, et comme fond ça devient coquet. On a déjà commencé à se manger. Mais juge de mon inquiétude, je prépare actuellement un coup, le coup du livre. Il faut que ce soit à la fois cochon, chaste, mystique et réaliste ! Une brave comme on n’en a jamais vu, et cependant qu’on la voie !

Ce que je t’avais prédit s’effectue ; tu t’enamoures des mœurs arabes ! Combien de temps