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DE GUSTAVE FLAUBERT.

je l’attends en ce moment même. Saint-Victor m’a dit que le directeur des Variétés en avait envie : il n’y a donc rien de fait, comme tu le vois.

Maintenant causons de la grande affaire.

Eh bien, ma pauvre Caro, tu es toujours dans la même incertitude, et peut-être que maintenant, après une troisième entrevue, tu n’en es pas plus avancée. C’est une décision si grave à prendre que je serais exactement dans le même état si j’étais dans ta jolie peau. Vois, réfléchis, tâte bien ta personne tout entière (cœur et âme), pour voir si le monsieur comporte en lui des chances de bonheur. La vie humaine se nourrit d’autre chose que d’idées pratiques et de sentiments exaltés ; mais, d’autre part, si l’existence bourgeoise vous fait crever d’ennui, à quoi se résoudre ? Ta pauvre grand’mère désire te marier, par la peur où elle est de te laisser toute seule, et moi aussi, ma chère Caro, je voudrais te voir unie à un honnête garçon qui te rendrait aussi heureuse que possible ! Quand je t’ai vue, l’autre soir, pleurer si abondamment, ta désolation me fendait le cœur. Nous t’aimons bien, mon bibi, et le jour de ton mariage ne sera pas un jour gai pour tes deux vieux compagnons. Bien que je sois naturellement peu jaloux, le coco qui deviendra ton époux, quel qu’il soit, me déplaira tout d’abord ; mais là n’est pas la question. Je lui pardonnerai plus tard et je l’aimerai, je le chérirai, s’il te rend heureuse.

Je n’ai donc pas même l’apparence d’un conseil à te donner. Ce qui plaide pour M. C***[1] c’est la façon dont il s’y est pris ; de plus on connaît son

  1. Ernest Commanville, gros négociant en bois.