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CORRESPONDANCE

799. À JULES DUPLAN.
Sens, Hôtel de l’Écu de France.
Mercredi, 9 heures et demie du soir [août 1864].[1]

Tu l’avais deviné : le serf qui lavait la voiture rue du Château-d’Eau est familier (c’est lui que j’ai eu comme automédon, monsieur), familier, mais bon. À Villeneuve-Saint-Georges, il a été sur le point, sans y être nullement convié, de s’asseoir à table à côté de moi, liberté justifiée par l’amour qu’il me portait ; il me trouve « un brave homme ». J’ai été fortement rincé par la pluie dans sa société. Quel temps, miséricorde ! J’étais tellement mouillé à Corbeil, que j’ai pris un bain chaud pour faire sécher mes vêtements. Dans l’établissement aquatique de cette infâme localité, on est servi par des jeunes filles de quinze ans, et une dame entr’ouvre la porte des cabinets avec une décence sans pareille — rien n’est convenable comme ce bras s’allongeant le long du mur, pour prendre vos nippes.

Après avoir manqué de me colleter avec deux charbonniers et un loueur de voitures, j’ai pris l’omnibus de Melun en compagnie de deux maçons fortement allumés et d’un ouvrier champêtre qui infectait l’eau-de-vie et l’ail, et suis arrivé à 9 heures du soir dans Melun, mourant de faim et de froid. Se méfier de l’Hôtel du Commerce ! Puis, ce matin, j’ai fait un voyage exquis de Melun à Montereau par le bord de la rivière, sous des roches couvertes de vignes, en plein soleil. Mon

  1. Voyage pour l’Éducation sentimentale.