Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/315

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
309
DE GUSTAVE FLAUBERT.

quet qui crie, sans danger aucun : « Vive la Pologne ! » Nous avons des gens chic qui se sont fait inscrire à l’Élysée. Oh ! La bonne époque !

Mon roman va piano. À mesure que j’avance, les difficultés surgissent. Quelle lourde charrette de moellons à traîner ! Et vous vous plaignez, vous, d’un travail qui dure six mois !

J’en ai encore pour deux ans, au moins (du mien). Comment diable faites-vous pour trouver la liaison de vos idées ? C’est cela qui me retarde. Ce livre-là, d’ailleurs, me demande des recherches fastidieuses. Ainsi, lundi, j’ai été successivement au Jockey-Club, au Café Anglais et chez un avoué.

Aimez-vous la préface de Victor Hugo à Paris-Guide ? Pas trop, n’est-ce pas ? La philosophie d’Hugo me semble toujours vague.

Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.

Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols, et j’ai entendu de jolis mots à la Prud’homme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre.

C’est la haine que l’on porte au bédouin, à l’hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète, et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Il est vrai que beaucoup de choses m’exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à