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CORRESPONDANCE

ne sont pas comme la mienne ! En somme on nous a tué peu de monde, jusqu’à présent. Que Bazaine se dégage et que Bourbaki le rejoigne, en même temps que l’armée de la Loire marchera sur Paris, et tout n’est pas perdu, car les Parisiens feront une sortie collective qui sera terrible, je n’en doute pas. Nous avons assez d’hommes et nous aurons bientôt une artillerie suffisante ; mais ce qui nous manque, ce sont des chefs, c’est un commandement. Oh ! un homme ! un homme ! un seul ! une bonne cervelle pour nous sauver ! Quant à la province, je la regarde comme perdue. Les Prussiens peuvent s’étendre indéfiniment, mais tant que Paris n’est pas pris, la France vit encore.

Pauvre France, elle qui depuis cent ans s’est battue pour l’Amérique, pour la Grèce, pour la Turquie, pour l’Espagne, pour l’Italie, pour la Belgique, pour tous, et que tous regardent mourir, froidement.

Comme on nous hait ! et comme ils nous envient ces cannibales-là ! Savez-vous qu’ils prennent plaisir à détruire les œuvres d’art, les objets de luxe, quand ils en rencontrent. Leur rêve est d’anéantir Paris, parce que Paris est beau.

Je pense sans cesse à la rue de Courcelles ! Et les dimanches au soir, surtout, je me sens déchiré comme si on me sciait en deux !

Pauvre chère et belle maison, où nous n’irons plus ! Quand reverrai-je celle qui t’emplissait d’une grâce si indicible ! Comme j’avais le cœur content quand je montais ton escalier et que j’allais baiser sa main !

Moi qui voulais vous donner du courage, voilà