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CORRESPONDANCE

rue de Courcelles[1] ; alors je roule dans des océans de mélancolie ! Et puis le tête-à-tête continuel avec ta grand’mère n’est pas gai, et quelquefois je n’en peux plus ! Puis je me remonte, et je retombe. Ainsi de suite, et les jours s’écoulent, Dieu merci !

Les Prussiens ne sont pas encore à Rouen. Ils y viendront certainement, mais je doute qu’ils viennent à Croisset. Voilà bientôt trois semaines qu’ils se tiennent sur les limites du département. Pourquoi n’avancent-ils pas ?

Si Bourbaki rejoint Bazaine et qu’ils arrivent tous les deux sous les murs de Paris en même temps qu’une armée s’y présentera, alors les Parisiens feront une sortie collective et tout peut changer en deux jours. Paris tiendra encore longtemps. La défense y est formidable et l’esprit de la population excellent. Ah ! si la province lui ressemblait, à ce pauvre Paris !

J’ai donné hier ma démission de lieutenant, ainsi que le sous-lieutenant et le capitaine, afin de forcer le maire à établir un conseil de discipline, car nous n’avons aucune autorité sur notre pitoyable milice ! Si je n’ai pas de réponse d’ici à la fin de la semaine, je me regarderai comme complètement libre, et alors je verrai ce que j’aurai à faire.

Quelle pluie ! quel temps ! quelle tristesse ! Mon chagrin ne vient pas tant de la guerre que de ses suites. Nous allons entrer dans une époque de ténèbres. On ne pensera plus qu’à l’art militaire. On sera très pauvre, très pratique et très borné.

  1. Chez la Princesse Mathilde.