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CORRESPONDANCE

ment trop. Parlons de vos livres, ça vaut mieux.

Ils m’ont amusé, et la preuve c’est que j’ai avalé d’un trait et l’un après l’autre Flamarande et les Deux Frères. Quelle charmante femme que Mme de Flamarande et quel homme que M. de Salcède ! Le récit du rapt de l’enfant, la course en voiture et l’histoire de Zamora sont des endroits parfaits. Partout l’intérêt est soutenu et en même temps progressant. Enfin, ce qui me frappe dans ces deux romans (comme dans tout ce qui est de vous, d’ailleurs), c’est l’ordre naturel des idées, le talent ou plutôt le génie narratif. Mais quel abominable coco que votre sieur Flamarande ! Quant au domestique qui conte l’histoire et qui évidemment est amoureux de madame, je me demande pourquoi vous n’avez pas montré plus abondamment sa jalousie personnelle.

À part M. le comte, tous sont des gens vertueux dans cette histoire, et même d’une vertu extraordinaire. Mais les croyez-vous bien vrais ? Y en a-t-il beaucoup de leur sorte ? Sans doute, pendant qu’on vous lit, on les accepte à cause de l’habileté de l’exécution ; mais ensuite ?

Enfin, chère maître, et ceci va répondre à votre dernière lettre, voici, je crois, ce qui nous sépare essentiellement. Vous, du premier bond en toutes choses, vous montez au ciel et de là vous descendez sur la terre. Vous partez de l’a priori, de la théorie, de l’idéal. De là votre mansuétude pour la vie, votre sérénité et, pour dire le vrai mot, votre grandeur. — Moi, pauvre bougre, je suis collé sur la terre comme par des semelles de plomb ; tout m’émeut, me déchire, me ravage et je fais des efforts pour monter. Si je voulais pren-