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CORRESPONDANCE

1772. À SA NIÈCE CAROLINE.
[Croisset], jeudi, 3 heures [28 novembre 1878].

Eh bien, mon pauvre chat, commences-tu à te reconnaître un peu ? Vous fait-on une cuisine passable ? Mlle Julienne a-t-elle au moins le talent de balayer ? As-tu revu quelques-unes de tes amies, etc., etc. Ernest a-t-il pensé à aller chez M. Guéneau de Mussy ? A-t-il faim ? Mange-t-il des beefsteaks ? Et la peinture ? Il ne faut pas l’oublier, cette pauvre bonne vieille peinture consolatrice.

Quant à moi, ma vie s’est passée de telle sorte, depuis trois jours, qu’il m’est impossible de me rappeler rien. Car il n’y a eu rien, absolument rien. Le plus grand épisode (ou plutôt le seul) a été ce matin, une dégueulade de Julio sur le tapis de la salle à manger. Je n’ai pas même aperçu, par mes carreaux, le moindre profil connu. Hier, comme il faisait très beau, j’ai fait après le déjeuner une longue promenade dans les cours. Pendant une heure, j’ai roulé sous mes galoches les feuilles tombées, j’ai admiré le ciel bleu, la rivière et les coteaux, et surtout humé à pleins poumons le bon air frais qui sentait la verdure.

Les étalages que l’on a faits dans les « points de vue » sont réussis. Par moments je jouis beaucoup de la nature. Pourquoi ?

Le travail marche bien et, si je continue, j’aurai fini la première partie dans une quinzaine. Mais la journée de lundi n’a pas été drôle, pauvre Caro !