Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/244

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une température écœurante, où se mêlait l’odeur de la térébenthine.

Les ouvrières, presque toutes, avaient des costumes sordides. On en remarquait une, cependant, qui portait un madras et de longues boucles d’oreilles. Tout à la fois mince et potelée, elle avait de gros yeux noirs et les lèvres charnues d’une négresse. Sa poitrine abondante saillissait sous sa chemise, tenue autour de sa taille par le cordon de sa jupe ; et, un coude sur l’établi, tandis que l’autre bras pendait, elle regardait vaguement, au loin dans la campagne. À côté d’elle traînaient une bouteille de vin et de la charcuterie.

Le règlement interdisait de manger dans les ateliers, mesure de propreté pour la besogne et d’hygiène pour les travailleurs.

Sénécal, par sentiment du devoir ou besoin de despotisme, s’écria de loin, en indiquant une affiche dans un cadre :

— « Hé ! là-bas, la Bordelaise ! lisez-moi tout haut l’article 9. »

— « Eh bien, après ? »

— « Après, mademoiselle ? C’est trois francs d’amende que vous payerez ! »

Elle le regarda en face, impudemment.

— « Qu’est-ce que ça me fait ? Le patron à son retour, la lèvera votre amende ! Je me fiche de vous, mon bonhomme ! »

Sénécal, qui se promenait les mains derrière le dos, comme un pion dans une salle d’études se contenta de sourire.

— « Article 13, insubordination, dix francs. »

La Bordelaise se remit à sa besogne. Mme Arnoux par convenance, ne disait rien, mais ses sourcils se froncèrent. Frédéric murmura :

— « Ah ! pour un démocrate, vous êtes bien dur ! »

L’autre répondit magistralement :

— « La Démocratie n’est pas le dévergondage de l’in-