Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/245

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dividualisme. C’est le niveau commun sous la loi, la répartition du travail, l’ordre ! »

— « Vous oubliez l’humanité ! » dit Frédéric.

Mme Arnoux prit son bras ; Sénécal, offensé peut-être de cette approbation silencieuse, s’en alla.

Frédéric en ressentit un immense soulagement. Depuis le matin, il cherchait l’occasion de se déclarer ; elle était venue. D’ailleurs le mouvement spontané de Mme Arnoux lui semblait contenir des promesses ; et il demanda, comme pour se réchauffer les pieds, à monter dans sa chambre. Mais, quand il fut assis près d’elle, son embarras commença ; le point de départ lui manquait. Sénécal, heureusement, vint à sa pensée.

— « Rien de plus sot », dit-il, « que cette punition »

Mme Arnoux reprit :

— « Il y a des sévérités indispensables. »

— « Comment, vous qui êtes si bonne ! Oh ! je me trompe car vous vous plaisez quelquefois à faire souffrir ! »

— « Je ne comprends pas les énigmes, mon ami. »

Et son regard austère, plus encore que le mot, l’arrêta. Frédéric était déterminé à poursuivre. Un volume de Musset se trouvait par hasard sur la commode. Il en tourna quelques pages, puis se mit à parier de l’amour, de ses désespoirs et de ses emportements.

Tout cela, suivant Mme Arnoux, était criminel ou factice.

Le jeune homme se sentit blessé par cette négation et, pour la combattre, il cita en preuve les suicides qu’on voit dans les journaux, exalta les grands types littéraires, Phèdre, Didon, Roméo, Des Grieux. Il s’enferrait.

Le feu dans la cheminée ne brûlait plus, la pluie fouettait contre les vitres. Mme Arnoux, sans bouger, restait les deux mains sur les bras de son fauteuil ; les