Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/261

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— « Si nous mangions, je suppose, un turban de lapins à la Richelieu et un pudding à la d’Orléans ? »

— « Oh ! pas d’Orléans ! » s’écria Cisy, lequel était légitimiste et crut faire un mot.

— « Aimez-vous mieux un turbot à la Chambord ? » reprit-elle.

Cette politesse choqua Frédéric.

La Maréchale se décida pour un simple tournedos, des écrevisses, des truffes, une salade d’ananas, des sorbets à la vanille.

— « Nous verrons ensuite. Allez toujours. Ah ! j’oubliais ! Apportez-moi un saucisson ! pas à l’ail ! »

Et elle appelait le garçon « jeune homme », frappait son verre avec son couteau, jetait au plafond la mie de son pain. Elle voulut boire tout de suite du vin de Bourgogne. — « On n’en prend pas dès le commencement », dit Frédéric.

Cela se faisait quelquefois, suivant le Vicomte.

— « Eh non ! Jamais ! »

— « Si fait, je vous assure ! »

— « Ah ! tu vois ! »

Le regard dont elle accompagna cette phrase signifiait : « C’est un homme riche, celui-là, écoute-le ! »

Cependant, la porte s’ouvrait à chaque minute, les garçons glapissaient, et, sur un infernal piano, dans le cabinet à côté, quelqu’un tapait une valse. Puis les courses amenèrent à parler d’équitation et des deux systèmes rivaux. Cisy défendait Baucher, Frédéric le comte d’Aure, quand Rosanette haussa les épaules.

— « Assez, mon Dieu ! il s’y connaît mieux que toi, va ! »

Elle mordait dans une grenade, le coude posé sur la table ; les bougies du candélabre devant elle tremblaient au vent, cette lumière blanche pénétrait sa peau de tons nacrés, mettait du rose à ses paupières, faisait briller les globes de ses yeux ; la rougeur du fruit se