Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/405

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— « Par la Vatnaz. »

— « N’était-ce pas toi que j’ai vue, une fois, au Palais-Royal, avec eux deux ? »

Il cita la date précise. Rosanette fit un effort.

— « Oui, c’est vrai !… Je n’étais pas gaie dans ce temps-là ! »

Mais Arnoux s’était montré excellent. Frédéric n’en doutait pas ; cependant, leur ami était un drôle d’homme, plein de défauts ; il eut soin de les rappeler. Elle en convenait.

— « N’importe !… On l’aime tout de même, ce chameau-là ! »

— « Encore, maintenant ? » dit Frédéric.

Elle se mit à rougir, moitié riante, moitié fâchée.

— « Eh ! non ! C’est de l’histoire ancienne. Je ne te cache rien. Quand même cela serait, lui, c’est différent ! D’ailleurs, je ne te trouve pas gentil pour ta victime. »

— « Ma victime ? »

Rosanette lui prit le menton.

— « Sans doute ! »

Et, zézayant à la manière des nourrices :

— « Avons pas toujours été bien sage ! Avons fait dodo avec sa femme ! »

— « Moi ! jamais de la vie ! »

Rosanette sourit. Il fut blessé de son sourire, preuve d’indifférence, crut-il. Mais elle reprit doucement, et avec un de ces regards qui implorent le mensonge : — « Bien sûr ? »

— « Certainement ! »

Frédéric jura sa parole d’honneur qu’il n’avait jamais pensé à Mme Arnoux, étant trop amoureux d’une autre.

— « De qui donc ? »

— « Mais de vous, ma toute belle ! »

— « Ah ! ne te moque pas de moi ! Tu m’agaces ! »

Il jugea prudent d’inventer une histoire, une passion. Il trouva des détails circonstanciés. Cette personne du reste, l’avait rendu fort malheureux.