Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

sent avec les roches. Le mollusque bleuâtre fait palpiter son corps inerte comme un flot d’azur.

Nous n’entendons d’autre bruit que le bourdonnement éternel des grandes eaux et nous regardons au-dessus de nos têtes passer la carène des navires, comme des astres noirs qui glissent en silence.

ANTOINE

Oh ! oh ! je ne distingue plus…

Et à mesure que saint Antoine considère les animaux, il en survient de plus formidables et de plus monstrueux encore : le Tragelaphus, moitié cerf et moitié bœuf ; le Phalmant couleur de sang, qui fait crever son ventre à force de hurler ; la grande belette Pastinaca, qui tue les arbres par son odeur ; le Senad à trois têtes, qui déchire ses petits avec sa langue ; le Myrmecoleo, lion par devant, fourmi par derrière et dont les génitoires sont à rebours ; le serpent Aksar de soixante coudées, qui épouvanta Moïse ; le chien Cépus, dont les mamelles distillent une couleur bleue ; le Porphyrus, dont la salive fait mourir dans des transports lascifs ; le Presteros, qui rend imbécile par le toucher ; le Mirag, lièvre cornu habitant des îles de la mer.


Il arrive tout à coup des rafales hurlantes pleines d’anatomies merveilleuses. Ce sont des têtes d’alligators sur des pieds de chevreuil, des cous de cheval terminés par des vipères, des grenouilles velues comme des ours, des hiboux à queue de serpent, des pourceaux à gueule de tigre, des chèvres à croupe d’âne, des caméléons grands comme des hippopotames, des poulets à quatre pattes, des veaux à deux têtes dont l’une pleure et l’autre beugle, des fœtus quadruples se tenant par le nombril et valsant comme des toupies, des grappes d’abeilles se désenfilant comme des chapelets, des aloès tout couverts de pustules roses, des ventres ailés