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la tentation de saint antoine
LA MORT

Oui ! C’est tout ! C’est la fin, c’est le fond ! Si vieille que soit l’étoffe de mon manteau, le jour ne passe pas au travers. Je le mettrai par-dessus ta tête. Je te clouerai là-dedans (Elle lui montre le cerceuil.) et alors, tu auras vécu pour tous les milliers d’années qui suivront et pour l’éternité infinie qui suivra, et quand ce bois sera usé, quand ce linge sera pourri, il y aura longtemps que ce peu qui restait de toi jadis ne sera même plus.

Je suis la Consolatrice, je suis l’Endormeuse !… Comme on fait au petit enfant qui a bien couru toute la journée, je couche le genre humain dans son berceau, et je souffle la lumière…

Les désespérés, les fatigués, les ennuyés, j’ai arrêté leurs pleurs, j’ai reposé leurs lassitudes, clos le bâillement de leur bouche, et comblé le vide qu’ils avaient… Ceux qui regrettaient ne regrettent point, ceux qui étaient dans l’attente ne s’impatientent plus… Insensible, anéanti, dissous, plus évaporé que la rosée d’hier, plus effacé que le pas de l’autruche sur le sable, plus nul qu’un écho perdu !…

ANTOINE

Oh ! ton haleine me souffle au visage ! tu as des odeurs de néant qui font défaillir mon âme !