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LA MORT

… Là-bas, tu seras sans âge, sans mémoire, sans passé, sans avenir, aussi jeune que les plus jeunes, aussi vieux que les plus vieux, aussi puissant que les plus forts, aussi beau que les plus beaux !… Viens ! je suis la paix, l’immuable vide… la connaissance suprême !

ANTOINE, en sursaut.

La connaissance ?…

LA MORT

S’il n’y a rien au delà de moi, en me possédant, n’atteindras-tu pas le dernier terme ? S’il est, au contraire, un soleil, quelque chose qui luise par delà les sépulcres, et que je ne sois, comme on dit, que le seuil de l’éternité, alors il faut me prendre pour en jouir, il faut me franchir pour y entrer ! Soit donc qu’il n’y ait rien, ou quelque chose, si tu veux le néant, viens ! Si tu veux la béatitude, viens ! Ténèbres ou lumière, annihilation ou extase, inconnu quel qu’il soit, ce n’est plus la vie : Donc, ça vaut mieux ! Allons, partons ! Donne-moi la main ! Fuyons au galop vers mon royaume sombre !

Antoine, se levant, tend les mains à la Mort, quand, derrière celle-ci, tout à coup apparaît la Luxure qui, lui passant la tête sur l’épaule, montre son visage et cligne des yeux.