Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/348

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ou basse-cour, où nous voyons cinq ou six lépreux, et trois ou quatre lépreuses. Ils sont à prendre l’air, l’une a le nez totalement rongé, comme par la vérole, et quelques croûtes sur la figure ; une autre a la face toute rouge, d’un rouge de feu. Nous avons déjà vu passer, près du bazar des parfumeurs, un homme à figure pareille. Un jeune homme à figure pâle, vert comme l’herbe, avec des taches, quelques pustules. Tout cela geint, crie et se lamente ; les hommes et les femmes sont ensemble, plus de séparation de sexes ni de distinction autre que celle de la souffrance. Quand ils ont reçu notre aumône, ils ont levé les bras au ciel en répétant Allah ! et appelant sur nous des bénédictions. Je me rappelle surtout la femme sans nez, avec l’espèce de baragouinement sifflant qui lui sortait du larynx. Ils sont là tout seuls, se soignant entre eux, sans que personne les secoure. À la première période de la maladie, on souffre beaucoup, puis la paralysie vient graduellement. Ce qu’il doit y avoir de pis pour eux, c’est de se voir. Quelle chose ce serait s’il y avait des miroirs aux murs de leurs cahutes !

Le Frère supérieur nous a menés aussi dans une espèce de chapelle bâtie dans la maison du Père Thomas. Dans la chambre du frère son portrait, vieillard à barbe blanche, avec son domestique (assassiné avec lui) et qui lui présente une tasse de café. Dans la chapelle une inscription constatant la date de la mort du Père Thomas et disant qu’il a été assassiné par les juifs. L’endroit appartient aux Arméniens unis.

Le consul de France, M. Vabeyène, gros ci-devant empâté, lourd, épais, ne croit au monde