Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/363

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épanouie et coiffé d’un haut turban bleu, dont la forme me rappelle la coiffure du grand prêtre dans la Norma : c’est un prêtre du pays, comme qui dirait le curé de l’endroit. Des hommes, à notre droite, sous un hangar du même goût que le nôtre, sont occupés à bourrer de paille des bâts d’âne, ils paraissent très gaillards, causent très haut et se repassent tous le même galaoum. Un des habitants de la maison se précipite comme un sauvage sur un morceau de sucre que Sassetti cassait pour donner à Joseph, lequel, couché au milieu de la cour, tremble de tous ses membres, grelotte et délire en arabe, en italien et en français. Les femmes ont, comme les juives, un ornement de tête qui leur pend jusqu’aux fesses, mais non en tresses de soie ; ce sont trois grosses queues en fils de soie, retenues par des calices d’argent ; ce doit être horriblement lourd.

Je regarde longtemps un enfant de deux à trois ans, sale et presque indistinguable des haillons, à travers lesquels pourtant on retrouve ces jolis petits membres de l’enfance qui attendrissent les veux ; il joue tout seul, sans que personne ne fasse attention à lui, se parlant à lui-même en mots indistincts, dans son jeune jargon arabe. Il essaie à lier ensemble et à mettre sur son dos trois tiges de plantes à tabac, c’est autant de poutres pour lui ; souvent la charge verse et il recommence avec patience. Je songe aux petits enfants des Tuileries, si propres, si bien habillés, qui jouent avec le sable sous les yeux d’une dame ou d’une bonne ; ils ont une pelle, ceux-là, et une brouette ; on leur achète de beaux joujoux. Celui-là s’amuse bien tout de même, sans savoir qu’il y a des jours