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ÉGYPTE

disait à travers la grille en me donnant une poignée de main : « Vous allez voir un grand pays, grande religion, un grand peuple », etc., et un tas de phrases.

Enfin je suis parti. Ma mère était assise dans un fauteuil, en face la cheminée ; comme je la caressais et lui parlais, je l’ai baisée sur le front, me suis élancé sur la porte, ai saisi mon chapeau dans la salle à manger et suis sorti. Quel cri elle a poussé, quand j’ai fermé la porte du salon ! il m’a rappelé celui que je lui ai entendu pousser à la mort de mon père, quand elle lui a pris la main.

J’avais les yeux secs et le cœur serré, peu d’émotion, si ce n’est de la nerveuse, une espèce de colère, mon regard devait être dur. J’allumai un cigare, et Bonenfant vint me rejoindre ; il me parla de la nécessité, de la convenance de faire un testament, de laisser une procuration ; il pouvait arriver un malheur à ma mère en mon absence. Je ne me suis jamais senti de mouvement de haine envers personne comme envers lui, à ce moment. Dieu lui a pardonné le mal qu’il m’a fait sans doute, mais le souvenir en moi ne s’en effacera pas. Il m’exaspéra, et je l’évinçai poliment !

À la porte de la gare du chemin de fer, un curé et quatre religieuses : mauvais présage ! Tout l’après-midi un chien du quartier avait hurlé funèbrement. J’envie les hommes forts qui à de tels moments ne remarquent pas ces choses.

Le père Parain ne me disait rien, lui ; c’est la preuve d’un grand bon cœur. Je lui suis plus reconnaissant de son silence que d’un grand service.

Dans la salle d’attente, il y avait un monsieur