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ÉGYPTE.

« mazagran » noire, était notre conducteur à nous. Son compagnon, gros gaillard à figure réjouie, venait depuis quelques jours de donner sa démission et s’en allait à Lyon faire un voyage d’agrément et se livrer à l’exercice de la chasse. Quel mélange d’idées plaisantes ne s’offre-t-il pas à l’esprit dans la personne du conducteur ? N’y retrouvez-vous pas, comme moi, le souvenir chéri de la joie bruyante des vacances, le vagabondage de la dix-septième année, la rêverie au grand air, avec cinq chevaux qui galopent devant vous sur une belle route et des paysages à l’horizon, la senteur des foins, du vent sur votre front, et les conversations faciles, les rires tout haut, les interminables pipes que l’on rebourre et que l’on rallume, tout ce que comporte en soi la confraternité du petit verre, sans oublier non plus ces mystérieuses bourriches inattendues qui entrent chez vous, vers le jour de l’an, dans votre salle à manger chauffée le matin, vers dix heures, pendant que vous êtes à déjeuner ?

L’avez-vous jamais talonné de questions sur la longueur de la route, cet homme patient qui vous répondait toujours ? Dans le coin de votre mémoire n’y a-t-il pas le souvenir encore ému d’une montée quelconque dominant un pays désiré ?

Avez-vous jamais trépigné d’impatience dans une cour de diligence, entre un commis qui écrivait et un facteur qui rangeait des ballots ? Avez-vous jamais d’un œil triste jalousé l’homme en casquette qui sautait, après tout le monde, sur la lourde machine que vous suiviez du regard, s’en allant, et qui tournait l’une après l’autre autour de toutes les rues.