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Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/155

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moins ; point de bourse en temple grec, aucune caserne, pas même de mairie montrant son inepte façade, rehaussée d’une loque tricolore. Mais ce sont de petites rues qui serpentent comme des sentiers entre de vieux murs d’où retombent des bouquets de feuillages et des grappes de clématite. Les maisons de bois ont des toits pointus et des balcons noirs, et on entend en passant près d’elles les rouets filer dans l’intérieur ou le bruit de quelque oiseau suspendu à la fenêtre dans une cage d’osier blanc. Deux rivières, au pied des montagnes, entourent la ville comme un bracelet d’argent ; elles se réunissent, s’entre-croisent, se divisent, disparaissent en revenant sans qu’on distingue de quel côté elles coulent, s’il y en a plusieurs ou une seule ; elles s’en vont ainsi entre les maisons et les rues en mouillant sur leur bord la dernière marche de l’escalier des jardins, et gargouillent sur les cailloux verts de leur lit où se courbent ensemble de grandes herbes minces. Les espèces de quais qui les enferment disjoignent sous les racines des lierres leurs pierres qui s’éboulent ; elles restent au fond comme des rochers, et le courant se heurtant contre elles déchire dessus sa nappe unie. De place en place, sûr cette surface d’un bleu pâle, ces marques dans l’eau semblent les arrachures blanches d’un grand voile étendu que le vent ferait lever. D’une rive à l’autre un pont d’une seule arche a jeté sa courbe aplatie, dont la silhouette projetée tremblote sur la rivière avec les herbes suspendues à sa voûte ;