Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chures, nous devisions des sons, des mots, des couleurs ; nous parlions des martres, de leurs œuvres, des joies de l’idée ; nous songions à des tournures de style, à des coins de tableau, à des airs de tête, à des façons de draperie ; nous nous redisions quelques grands vers énormes, beauté inconnue pour les autres qui nous délectait sans fin, et nous en répétions le rythme, nous en creusions les mots, le cadençant si fort qu’il en était chanté. Puis, c’étaient les lointains paysages qui se déroulaient, quelque splendide figure qui venait, des saisissements d’amour pour un clair de lune d’Asie se mirant sur des coupoles, des attendrissements d’admiration à propos d’un mot, ou la dégustation naïve de quelque phrase en relief trouvée dans un vieux livre.

Et couchés dans la cour de Joyeuse-Garde, près du souterrain comblé, sous le plein cintre de son arcade unique que revêtent les lierres, nous causions de Shakespeare et nous nous demandions s’il y avait des habitants dans les étoiles.

Puis nous partîmes, n’ayant guère donné qu’un coup d’œil à la demeure ruinée du bon Lancelot, celui qu’une fée enleva à sa mère et qu’elle nourrit au fond d’un lac dans un palais de pierreries. Les nains enchanteurs ont disparu, le pont-levis s’est envolé et le lézard se traîne où se promenait jadis la belle Geneviève songeant à son amant parti en Trébizonde combattre les géants.

Nous revînmes dans la forêt par les mêmes sen-