Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/411

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À Toulon, il va sans dire que j’ai visité un vaisseau de ligne. C’est certainement beau, grand, inspirant. J’ai vu des marins qui mangeaient dans de la porcelaine, j’ai assisté au salut du pavillon, etc., j’ai pu, comme tous les badauds, être étonné de voir des tapis et des fauteuils élastiques dans la chambre du capitaine ; mais en vue de marine j’aime mieux celle d’un petit port de mer comme Lansac, comme Trouville, où toutes les barques sont noires, usées, retapées, où tout sent le goudron, où la poulie rouillée crie au haut du mât, où les marteaux résonnent sur les vieilles carcasses qu’on calfeutre. De même, les fortifications de Toulon peuvent être une belle chose pour les troupiers, mais je n’aime point l’art militaire dans ce qu’il a de boutonné, de propre ; les remparts ne me plaisent qu’à moitié détruits. Il y a plus de poésie dans la casaque trouée d’un vieux troupier que sur l’uniforme le plus doré d’un général ; les drapeaux ne sont beaux que lorsqu’ils sont à moitié déchirés et noirs de poudre. Les canons du Marengo étaient tous en bon état et cirés comme des bottes ; est-ce qu’un canon n’est pas plus beau à voir avec quelques longues taches de sang qui coule et la gueule encore fumante ? À bord, au contraire, tout était propre, ciré, frotté, fait pour plaire aux dames quand elles viennent. Ces messieurs sont d’une politesse exquise et ont fait exécuter je ne sais quelle manœuvre pour nous faire honneur quand nous avions remis le pied sur notre embarcation. Nous