Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/423

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et nous nous sommes enfoncés dans la montagne. La route en suit toutes les ondulations et fait souvent des coudes sur les flancs du maquis, de sorte que la vue change sans cesse et que le même tableau montre graduellement toutes ses parties et se déploie avec toutes ses couleurs, ses nuances de ton et tous les caprices de son terrain accidenté. Après avoir passé deux vallées, nous arrivâmes sur une hauteur d’où nous aperçûmes la vallée de Cinarca, couverte de petits monticules blancs qui se détachaient dans la verdure du maquis. Au bas s’étendent les trois golfes de Chopra, de Liamone et de Sagone ; dans l’horizon et au bout du promontoire, la petite colonie de Cargèse. Toute la route était déserte, et l’œil ne découvrait pas un seul pan de mur. Tantôt à l’ombre et tantôt au soleil, suivant que la silhouette des montagnes que nous longions s’avançait ou se retirait, nous allions au petit trot, baissant la tête, éblouis que nous étions par la lumière qui inondait l’air et donnait aux contours des rochers quelque chose de si vaporeux et de si ardent à la fois qu’il était impossible à l’œil de les saisir nettement. Nous sommes descendus à travers les broussailles et les granits éboulés, traînant nos chevaux par la bride jusqu’à une cabane de planches où nous avons déjeuné sous une treille de fougères sèches, en vue de la mer. Une pauvre femme s’y tenait couchée et poussait des gémissements aigus que lui arrachait la douleur d’un abcès au bras ; les autres habitants n’étaient guère