Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/422

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chez lui comme des amis déjà connus. M. Jourdan est un homme encore jeune, plein d’énergie et de vivacité. Ancien carbonaro, un des chefs de l’association, sa jeunesse a été agitée par les passions politiques et sa tête a été mise à prix. Il administre la Corse depuis dix ans, ne rencontrant plus maintenant d’opposition que dans quelques membres du conseil général qu’il mène assez rudement. Sa maison est pleine de ce bon ton qui part du cœur ; ses filles, qui ne sont pas jolies, sont charmantes. M. Jourdan connaît son département mieux qu’aucun Corse et il nous a donné sur ce beau pays d’excellents renseignements. Je me rappelle un certain soir qu’il a déblatéré contre l’archéologie et je l’ai contredit ; un autre jour il a parlé avec feu des études historiques et particulièrement de la philosophie de l’histoire ; je l’ai laissé dire, me demandant en moi-même ce que les gens qui ont passé leur vie à l’étudier entendaient aujourd’hui par ce mot-là, et s’ils le comprenaient bien eux-mêmes. Ce que les plus fervents y voient de plus clair, c’est que c’est une science dans l’horizon, et les autres sceptiques pensent que ce sont deux mots bien lourds à entasser l’un sur l’autre, et que la philosophie est assez obscure sans y adjoindre l’histoire, et que l’histoire en elle-même est assez pitoyable sans l’atteler à la philosophie. Nous sommes partis d’Ajaccio pour Vico le 7 octobre, à 6 heures du matin. Le fils de M. Jourdan nous a accompagnés jusqu’à une lieue hors la ville. Nous avons quitté la vue d’Ajaccio