Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/434

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En revenant à Vico, le jour baissait et toutes les montagnes prenaient des teintes vineuses et vaporeuses. Au crépuscule, le paysage agrandissait toutes ses lignes et ses perspectives, et des rayons de soleil couchant passaient en grandes lignes droites lumineuses entre les gorges des montagnes ; tout le ciel était rouge feu, comme incendié par le soleil.

À notre gauche s’élevaient les sept pics de la Sposa avec la tête qui la couronne. Ces sept pics sont autant de cavaliers, et cette tête est la tête d’une femme. Au delà de ces monts, à droite de Vico, dans la forêt, il y a un village ; c’était le village de cette femme. On venait de la marier, mais son époux après les noces était retourné chez lui, et sa femme qui devait l’y suivre était restée seule chez sa mère dans son lit de fille. Sa mère la gardait toujours, et quand elle demandait à partir, elle lui répondait : demain. En vain chaque matin, quand le rossignol chantait dans le maquis, que les feux des bergers s’éteignaient sur les montagnes, les sept cavaliers, les amis de l’époux, arrivaient avec leurs chevaux tout sellés et bridés ; ce n’était pas encore aujourd’hui. Elle attendit donc un jour, deux jours, trois jours, jusqu’à quatre, et la voilà qui part heureuse, chantant sur son cheval, la couronne de myrte blanc sur la tête. Son mari l’attend sans doute impatient, regardant la route où rien n’apparaît ; il soupire, tout malade d’amour. Déjà les raisins et les olives sont dans la corbeille, la lampe brûle