Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/64

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ses branchages. Un arbre vert a percé l’épaisseur de la muraille et, sorti horizontalement, suspendu en l’air, a poussé tout à l’aise l’irradiation de ses rameaux. Les fossés dont la pente s’adoucit par la terre qui s’émiette des bords et par les pierres qui tombent des créneaux ont une courbe profonde, et la porte, avec sa vigoureuse ogive un peu cintrée et ses deux baies servant à relever le pont-levis, a l’air d’un grand casque qui regarde par les trous de sa visière.

Entré dans l’intérieur, vous êtes surpris, émerveillé par le mélange des ruines et des arbres, la ruine faisant valoir la jeunesse verdoyante des arbres, et cette verdure rendant plus âpre la tristesse de la ruine. Voilà bien l’éternel et beau rire, le rire éclatant de la nature sur le squelette des choses ; toutes les insolences de sa richesse, la grâce profonde de ses fantaisies, les envahissements de son silence. Un enthousiasme grave vous prend à l’âme ; on sent que la sève coule dans les arbres et que les herbes poussent, en même temps que les pierres s’écaillent et que les murailles s’affaissent. Un art sublime a arrangé, dans l’accord suprême des discordances secondaires, la forme vagabonde des lierres au galbe sinueux des ruines, la chevelure des ronces au fouillis des pierres éboulées, la transparence de l’air aux saillies résistantes des masses, la teinte du ciel à la teinte du sol, et vous en tressaillez intérieurement comme si cette double vie fonctionnait en vous-même, tant survient, brutale et immédiate, la per-