Page:Flaubert - Théâtre éd. Conard.djvu/187

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Paul, irrité.

Eh bien ! pourquoi pas ? Quand je vois tant de barbouilleurs que l’on applaudit, ce serait bien le diable… D’ailleurs j’ai de longues études derrière moi et en employant toutes mes forces, la gloire viendra… peut-être, la richesse ensuite.

L’inconnu.

Très bien, jeune homme ! Mais j’espère que vous allez, pour parvenir, ne rien négliger de tout ce qu’il vous faut : pillez-moi les anciens, dénigrez les modernes, exaltez les petits génies et conspuez les grands ; ça pose, premier pas ! Vous peindrez ensuite les boutiquiers en artilleurs et les lorettes en Vénus, avec les chevaux célèbres et les actions vertueuses, sans nul souci du dessin ni de la couleur ; on dirait que vous manquez d’idées, prenez garde ! Il faudra ensuite adopter le grec ou le gothique, le pompadour ou le chinois, l’obscénité ou la vertu, la chose à la mode, peu importe ! Mais agenouillez-vous devant le public, servilement, et ne lui donnez rien qui dépasse la force de son esprit, les facultés de sa bourse, la largeur de son mur ! Alors vos œuvres, reproduites à l’infini, couvriront |’Europe. Vous entrerez dans la cervelle de votre siècle. Vous serez un maître, une gloire, presque une religion. Le despotisme de votre médiocrité pourra abêtir toute une race ; il s’étendra même sur la Nature, car vous la ferez haïr, ô grand homme, car elle rappellera de loin vos barbouillages.

Paul, indigné.

Jamais !

L’inconnu.

Vous avez raison ! une place, des appointements fixes, c’est plus sûr. Je vous recommande avant tout