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Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/141

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imaginer l’ordre bizarre d’idées qu’il y a dans ces têtes.

Le vrai matelot, comme disait Leborgne, n’a ni patrie ni famille. Son langage n’appartient, en propre, à aucune nation. C’est un amalgame de mots pris à toutes les langues, à celles des nègres et sauvages de l’Amérique comme à celles de Cervantes et de Shakspeare. N’ayant d’autres vêtements que ceux dont il est couvert, il vit au hasard, sans s’inquiéter de l’avenir ; parcourt la vaste étendue des mers ; erre au sein des forêts avec les peuplades sauvages, ou dépense en peu de jours, dans quelque port, avec des filles publiques, l’argent qu’il a rudement gagné pendant une longue traversée. Le vrai matelot déserte, toutes les fois qu’il le peut, et passe successivement à bord des navires de toutes les nations, visite tous les pays, satisfait de voir, sans chercher à rien comprendre de tout ce qu’il voit. C’est un oiseau voyageur qui se repose quelques instants sur les arbres qu’il rencontre sur sa route, mais qui ne se fixe dans aucun bocage. Le vrai matelot ne s’attache à rien, n’a aucune affection, n’aime personne, pas même lui. C’est un être passif, servant à la navigation, mais aussi indiffé-