Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/142

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rent que l’ancre quant à la plage où le bâtiment mouillera. Arrivé dans un port, il abandonne son navire et le salaire qui lui est dû, va à terre, y vend jusqu’à sa pipe, pour aller dîner avec une fille, et, le lendemain, s’engage de nouveau à bord du premier bâtiment anglais, suédois ou américain qui a besoin de ses services. Si dans sa périlleuse carrière la mer l’épargne ; si sa santé résiste à tous les excès, à toutes les fatigues ; s’il survit à tous les maux dont il est assailli, parvenu à cet état de vieillesse qui ne lui laisse plus la force de larguer une écoute, il se résigne à rester à terre ; il mendie son pain, dans le port où son dernier voyage l’a laissé, va manger ce pain sur la plage, au soleil, regarde la mer avec amour ; c’est la compagne de sa jeunesse ; elle lui rappelle de nombreux souvenirs ; il gémit de son impuissance, puis va mourir à l’hôpital.

Voilà la vie du vrai matelot. Leborgne m’a servi de modèle ; mais, comme tout dégénère dans notre société, ce type se perd chaque jour. Maintenant les matelots se marient, portent avec eux une malle bien garnie, désertent moins, parce qu’ils ne veulent pas perdre leurs effets et l’argent qui leur est dû, mettent de