Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, II.djvu/104

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Si, pour y donner le change, je cherchais à reporter toutes mes facultés aimantes sur ma fille, j’apercevais aussi le danger de me laisser aller à cet amour ; je n’osais penser à cette enfant ; sans cesse je travaillais à la chasser de ma mémoire, tant je craignais de me trahir en parlant d’elle dans la conversation. Ah ! qu’il est difficile d’oublier huit années de sa vie, et surtout sa qualité de mère !… La plus jeune des enfants de Joaquina avait l’âge de ma fille ; elle était gentille, espiègle ; son parler enfantin me rappelait ma pauvre Aline ; à cette pensée, mes yeux se remplissaient de larmes… Je fuyais les jeux de cette enfant et rentrais chez moi dans un état de souffrance qu’une mère seule peut concevoir. Ah ! malheureuse, me disais-je, qu’ai-je fait ? La douleur m’a rendue lâche, dénaturée ; j’ai fui, incapable d’en supporter le poids ; j’ai laissé ma fille à la garde des étrangers ; la malheureuse petite est peut-être malade ; peut-être morte ! alors mon imagination me grossissait les dangers qu’elle pouvait courir ainsi que mes torts envers elle, et je tombais dans un désespoir délirant.

Tout ce qui m’entourait alimentait ma douleur ; je ne parlais plus aux enfants, j’aurais désiré