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XXII
essai

et le grand art de faire des vers qui soient toujours de la poésie. Ainsi je conclus que tout fabuliste qui réunira ces deux qualités pourra se flatter, non pas d’être l’égal de La Fontaine, mais d’être souffert après lui.

— Parlez-vous sérieusement, lui dis-je, et prétendez-vous m’encourager ? Si tout ce que vous venez de détailler n’est que le moins qu’on puisse exiger d’un fabuliste, que voulez-vous que je devienne ? Ou laissez-moi brûler mes fables, ou ne me démontrez pas qu’elles ne réussiront jamais. Je pourrais vous répondre pourtant que l’élégant Phèdre n’est rien moins que gai, que le laconique Ésope ne l’est pas beaucoup davantage, que l’anglais Gay n’est presque jamais qu’un philosophe de mauvaise humeur, et que cependant…

— Ces messieurs-là, reprit le vieillard, n’ont rien de commun avec vous. Indépendamment de la différence de leur nation, de leur siècle, de leur langue, songez que Phèdre fut le premier chez les Romains qui écrivit des fables en vers, que Gay fut de même le premier chez les Anglais. Je ne prétends pas assurément leur disputer leur mérite ; mais croyez que ce mot de premier ne laisse pas de faire à la réputation des hommes. Quant à votre Ésope, je ne dirai pas qu’il fut aussi le premier chez les Grecs, car je suis persuadé qu’il n’a jamais existé.

— Quoi ! répliquai-je, cet Ésope dont nous avons les ouvrages, dont j’ai lu la vie dans Méziriac, dans La Fontaine, dans tant d’autres, ce Phrygien si fameux par sa laideur, par son esprit, par sa sagesse, n’aurait été qu’un personnage imaginaire ? Quelles preuves en avez-vous, et qui donc, à votre avis, est l’inventeur de l’apologue ?

— Vous pressez un peu les questions, reprit-il avec douceur, et vous allez m’engager dans une discussion scientifique à laquelle je ne suis guère propre, car on ne peut être moins savant que moi. Pour ce qui regarde Ésope, je vous renvoie à une dissertation fort bien faite de feu M. Boulanger, sur les