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XXV
sur la fable.

vivent jamais que par grandes troupes. D’où viendrait ce besoin de société s’ils n’avaient pas le don de s’entendre ? Cette seule question dispense d’autres raisonnements qu’on pourrait alléguer.

« Montaigne a dit que « notre sapience apprend des bêtes les plus utiles enseignements aux plus grandes et plus nécessaires parties de la vie. » En effet, sans parler des chiens, des chevaux, de plusieurs autres animaux, dont l’attachement, la bonté, la résignation, devraient sans cesse faire honte aux hommes, je ne veux prendre pour exemple que les mœurs du chevreuil, de cet animal si joli, si doux, qui ne vit point en société, mais en famille ; épouse toujours, à la manière des Guèbres, la sœur avec laquelle il vint au monde, avec laquelle il fut élevé ; qui demeure avec sa compagne, près de son père et de sa mère, jusqu’à ce que, père à son tour, il aille se consacrer à l’éducation de ses enfants, leur donner les leçons d’amour, d’innocence, de bonheur, qu’il a reçues et pratiquées ; qui passe enfin sa vie entière dans les douceurs de l’amitié, dans les jouissances de la nature, et dans cette heureuse ignorance, cette imprévoyance des maux, « cette incuriosité qui, comme dit le bon Montaigne, est un chevet si doux, si sain à reposer une tête bien faite. »

« Pensez-vous que le premier philosophe qui a pris la peine de rapprocher de ces mœurs si pures, si douces, nos intrigues, nos haines, nos crimes, de comparer avec mon chevreuil, allant paisiblement au gagnage, l’homme, caché derrière un buisson, armé de l’arc qu’il a inventé pour tuer de plus loin ses frères, et employant ses soins, son adresse, à contrefaire le cri de la mère du chevreuil, afin que son enfant trompé, venant à ce cri qui l’appelle[1], reçoive une mort plus sûre des mains du perfide assassin ; pensez-vous, dis-je, que ce phi-

  1. C’est ainsi qu’on tue les chevreuils.