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XXVI
essai

losophe n’ait pas aussitôt imaginé de faire causer ensemble les chevreuils pour reprocher à l’homme sa barbarie, pour lui dire les vérités dures que mon philosophe n’aurait pu hasarder sans s’exposer aux effets cruels de l’amour-propre irrité ? Voilà la fable inventée ; et, si vous avez pu me suivre dans mon diffus verbiage, vous devez conclure avec moi que l’apologue a dû naître dans l’Inde, et que le premier fabuliste fut sûrement un brachmane.

« Ici, le peu que nous savons de ce beau pays s’accorde avec mon opinion. Les apologues de Bidpaï sont le plus ancien monument que l’on connaisse dans ce genre, et Bidpaï était un brachmane. Mais comme il vivait sous un roi puissant dont il fut le premier ministre, ce qui suppose un peuple civilisé dès longtemps, il est assez vraisemblable que ses fables ne furent pas les premières. Peut-être même n’est-ce qu’un recueil des apologues qu’il avait appris à l’école des gymnosophistes, dont l’antiquité se perd dans la nuit des temps. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ces apologues indiens, parmi lesquels on trouve les deux Pigeons, ont été traduits dans toutes les langues de l’Orient, tantôt sous le nom de Bidpaï ou Pilpai, tantôt sous celui de Lockman. Ils passèrent ensuite en Grèce sous le titre de fables d’Ésope. Phèdre les fit connaître aux Romains. Après Phèdre, plusieurs Latins, Aphthonius[1], Avien, Gabrias, composèrent aussi des fables. D’autres fabulistes plus modernes, tels que Faërne, Abstémius, Camérarius, en donnèrent des recueils, toujours en latin, jusqu’à la fin du seizième siècle qu’un nommé Hégémon, de Châlons-sur-Saône, s’avisa le premier de faire des fables en vers français. Cent ans après, La Fontaine parut ; et La Fontaine fit oublier toutes les fables passées, et, je tremble de vous le dire, vrai-

  1. Aphthonius et Gabrias ou Babrias sont deux fabulistes grecs. C’est par erreur que Florian les place ici parmi les fabulistes latins.
    (Note de l’éditeur.)