Page:Fontanes - Œuvres, tome 1.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
55
LE VIEUX CHÂTEAU.

Mais d’un siècle ignorant excusons les abus ;
Les siècles éclairés sont-ils moins corrompus ?
C’est en vain qu’on vanta tous les progrès du nôtre.
Quelle race a le droit d’en condamner une autre ?
Les dogmes les plus saints ont produit quelques maux,
Et la philosophie eut aussi ses bourreaux.
Partout sont les erreurs, les crimes, les scandales,
Et le sang d’âge en âge a rougi nos annales.

 C’est vous que j’en atteste, ô formidables tours,
Dont un art destructeur emprunta le secours,
Murs épais, longs créneaux qui dominez nos têtes ;
Oh ! que d’événements ont passé sur vos faîtes !
Jadis vous avez vu des rois toujours enfants,
Leur trône renversé, les maires triomphants,
Et ce législateur d’un siècle encor sauvage
Qui sut vaincre en héros et gouverner en sage,
Et, tenant sous son joug vingt états asservis ;
Joignit l’Europe entière au sceptre de Clovis.
Il n’est plus, et déjà de son empire immense
Ses faibles successeurs hâtent la décadence.
L’astre de Charlemagne, effroi des nations,
Dans la plus sombre nuit voit mourir ses rayons.
Le maître est sans pouvoir, chaque sujet opprime,
Et tous sont rois enfin, hors le roi légitime.
Aux bords du riche fleuve à mes pieds égaré,
Le Normand vagabond, de rapine altéré,
Vient promener alors son avare furie
Et donne un nouveau nom à l’antique Neustrie.
Hugues règne. Ses fils ont accru ses états.