Page:Formey - Mélanges philosophiques, Tome 2, 1754.djvu/406

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tant de milliers d'âmes d'un goût différent trouvent de quoi s'y plaire ? Le plus merveilleux encore, c'est que les hommes portent des jugements si différents d'un même objet. Ce que l'un trouve beau, l’autre le juge fade ou désagréable. Ce qui amorce l'un, rebute l'autre. La sagesse divine a su ranger les choses de telle sorte que chacun ne voit presque dans le monde que ce qui lui plaît ; et qu'il y a une espèce de voile sur les autres choies qui pourraient lui déplaire. De là vient l'espèce d’illusion où nous sommes que la nature a pour but de nous plaire à nous en particulier et principalement ; le botaniste, par exemple, croit que les plantes ont été faites pour réjouir l'homme par leur beauté et par leur ordre ; le paysan n'y trouve d'autre destination que de nourrir son bétail ; le médecin leur donne pour dernière fin l’utilité de son art ; le marchand regarde le monde comme une foire ; et le soldat l’envisage comme un champ de bataille. Il en est ainsi de toute autre chose, chacun loue l’arrangement de la nature suivant ses idées et sa profession. On chercherait en vain un artiste dont le travail fût du goût de dix sortes d'esprits différents.