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Combien ces mots formaient de phrases ?

Ces phrases, de pages ?

Ces pages, de livres ?

Ces livres, de bibliothèques ?

Ces bibliothèques, de savants ?

Ces savants, de pensées ?

Ces pensées, d’appréciateurs, d’admirateurs, de chroniqueurs ?

Quelle serait la consommation, par ces phrases, de guillemets, de ponctuation, de parenthèses, de renvois, d’alinéas ?

Combien enfin, il y aurait dans tout cela, d’éloquence et de pureté, de bavardage et de bévues ?

Un homme, entre tous, le moins fou, à qui je racontais mon désir, m’assura qu’il était bizarre et fantasque, qu’il y voyait presque de l’immodération et m’engagea fortement à renoncer à l’accomplissement de ce vœu.

Après avoir pris le bassin de la raison et celui de la folie, après les avoir suspendus l’un et l’autre au fléau de la réflexion, je rejetai loin ce capricieux caprice. Mais voilà que depuis plusieurs années il s’est repris à moi plus despote que jamais, l’homme étant mort et ma réflexion perdue. J’ai donc cédé à une fantaisie d’imagination, et je connais à présent, de quoi une langue d’homme est capable.

Cinquante-sept millions trois cent quarante-huit mille neuf cent trente-sept mots sortent par an d’une bouche d’homme, sans compter les extras pris dans le vin, le sommeil et le Parlement, si cette bouche y a voix.

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