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nietzsche et l’immoralisme

la guerre américaine de sécession. On peut seulement dire que, au point de vue physiologique, la théorie de Nietzsche sur la génération est des plus contestables ; les naturalistes admettent plutôt, avec Guyau, que la génération est une surabondance de nutrition qui s’épanche au dehors, non l’effet d’une sorte de guerre intestine.

En tout cas, quand il s’agit des êtres sentants, voir une lutte dans la génération et ses suites, c’est pousser le goût de l’agressif jusqu’au paradoxe. Quelle lutte y a-t-il dans l’amour maternel ou paternel pour la progéniture, dans l’amour d’un sexe pour l’autre, dans l’amour des petits pour leurs parents ? La famille n’est-elle qu’un théâtre d’agressions réciproques ?

« Nous sommes ouverts de toutes parts, dit Guyau (p. 246), de toutes parts envahissants et envahis. » Ja ! répond Nietzsche, qui croit reconnaître là sa volonté de puissance envahissante. Il se trompe en voyant dans cette invasion, non pas une simple expansion, mais une agression. Guyau, par cette ouverture de notre être qui nous permet d’être envahis et d’envahir, ne désigne nullement un instinct d’attaque et de lutte, mais une pénétration naturelle et pacifique des sensibilités ou des intelligences les unes dans les autres.

Les conditions mêmes de la vie personnelle enveloppent, pour Guyau, une vie non individuelle et partiellement altruiste. Où Nietzsche croira voir la tendance à exploiter autrui, à écraser autrui, Guyau reconnaît la tendance à s’unir aux autres, à ne faire qu’un avec eux pour former un tout plus vivant : « la vie la plus riche, dit-il, se trouve être aussi la plus portée à se prodiguer, à se sacrifier dans une certaine mesure, à se partager aux autres ». Quelle est donc la vraie loi d’évolution par laquelle la vie arrivera, selon le mot de Nietzsche, à se « dépasser toujours elle-même » ? Guyau répond, en s’appuyant sur la biologie comme sur la psychologie et la sociolo-