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l’idéal chrétien

indigènes... Il ne se fâche contre personne. Il ne méprise personne. Il ne se montre pas aux tribunaux et ne s’y laisse point mettre à contribution ( « ne pas prêter serment » ). Dans aucun cas, il ne se laisse séparer de sa femme, même dans le cas d’infidélité manifeste[1]. Tout cela est au fond un seul axiome, tout cela est la suite d’un instinct. La vie du Sauveur n’était pas autre chose que cette pratique ; — sa mort ne fut pas autre chose non plus… Il n’avait plus besoin ni de formules, ni de rites pour les relations avec Dieu, pas même de la prière. Il en a fini avec tout, l’enseignement juif de la repentance et du pardon ; il connaît seul la pratique de la vie qui donne le sentiment d’être divin, bienheureux, évangélique, toujours enfant de Dieu. La repentance, la prière pour le pardon ne sont point des chemins vers Dieu : la pratique évangélique seule mène à Dieu, c’est elle qui est Dieu. Ce qui fut détrôné par l’Évangile, c’était le judaïsme de l’idée du péché, du pardon des péchés, de la foi, du salut par la foi ; toute la dogmatique juive était niée dans le joyeux message.

« L’instinct profond pour la manière dont on doit vivre, afin de se sentir au ciel, afin de se sentir éternel, tandis qu’avec une autre conduite on ne se sentirait absolument pas au ciel, cela seul est la réalité psychologique de la rédemption. Une vie nouvelle, et non une foi nouvelle. »

S’inspirant de tout le travail de l’exégèse allemande et de tout le symbolisme cher à la philosophie allemande, Nietzsche ajoute ces paroles caractéristiques :

« Si je comprends quelque chose chez ce grand symboliste, c’est bien le fait de ne prendre pour des réalités, pour des vérités, que les réalités intérieures ; que le reste, tout ce qui est naturel, tout ce qui a rapport au temps et à l’espace, tout ce qui est historique,

  1. Nietzsche fait erreur sur ce point. On lit dans Saint Matthieu, ch. 19 : « Je vous dis que celui qui répudie sa femme, sauf le cas d’infidélité, commet l’adultère. » Entre la répudiation antique et le divorce actuel il y a d’ailleurs une différence !