Page:Fournier - Mon encrier (recueil posthume d'études et d'articles choisis dont deux inédits), Tome II, 1922.djvu/27

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— avec leurs comptes-rendus bibliographiques qu’on dirait fabriqués par des aliénés — vous savez trop bien que je n’exagère pas — pourront trouver des lecteurs jusque parmi nos classes soi-disant instruites. Si je me mets en colère — ce qui est bien inutile, je vous l’accorde, — contre cette prétendue critique, c’est qu’elle me montre, tel un baromètre, le degré d’indifférence de nos gens pour les choses de l’esprit ; c’est qu’elle me fournit une autre preuve — et combien frappante ! — de la stagnation intellectuelle de mes compatriotes.

Voilà le grand mal, Monsieur, et d’où découlent tous les autres. Voilà le grand obstacle à la création d’une littérature canadienne-française. Savez-vous dans quel milieu nous vivons, dans quelle atmosphère ? Je me suis permis déjà de vous dire que vous ne me paraissez pas vous en douter. Nos gens — et je parle des plus passables, de ceux qui ont fait des études secondaires — ne savent pas lire. Ils ignorent tout des auteurs français contemporains. Les sept-huitièmes d’entre eux n’ont jamais lu deux pages de Victor Hugo et ignorent jusqu’au nom de Taine. Ils pourront, à l’occasion, acheter des ouvrages canadiens, mais qu’ils se garderont bien d’ouvrir, non parce qu’ils les jugeront inférieurs mais simplement parce qu’ils n’aiment pas à lire. Ils sont fort occupés par leurs affaires professionnelles ; mais je vous demande