Page:Fournier - Mon encrier (recueil posthume d'études et d'articles choisis dont deux inédits), Tome II, 1922.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si cette excuse, en votre pays, justifierait un homme de leur état de ne pas lire, durant toute une année, une seule page de littérature. Ils n’ont pas de goût. Le sens des choses de l’esprit leur manque. Cela, tous les enfants de France le sucent avec le lait maternel, le respirent avec l’air : or, ce que vous acquérez à votre insu, nous ne pouvons le gagner que par des efforts réfléchis et acharnés. Non-seulement l’expression anglaise nous envahit, mais l’esprit anglais. Nos Canadiens français parlent encore en français, ils pensent déjà en anglais. Ou, du moins, ils ne pensent plus en français. Nous n’avons plus la mentalité française. Nous tenons encore à la France — et beaucoup — par le cœur, mais presque plus par l’intelligence. Nous ne sommes pas encore des Anglais, nous ne sommes plus des Français.

Cela explique que nous ayons pour journaux des feuilles qui ne vivraient pas deux jours en France, et une critique à l’avenant. Et c’est pourquoi nos jeunes gens un peu doués ne se sentent guère tentés, les premières illusions passées, de persévérer dans une carrière où ils sont sûrs de ne rencontrer que les pire déboires et d’où ils n’ont qu’à s’évader pour échapper à la gêne et même arriver à l’aisance.

Malgré tout, vous voulez nous trouver des raisons d’espérer. Vous nous en donnez d’ex-