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AUTRAN (Joseph)



Un des derniers morts de la poésie, dont il avait fait sa vie, et qu’il honora de si haut par son talent et son caractère.

Véritable Athénien de Marseille, où il était né en 1813, ses premiers vers furent pour un poète, pour Lamartine s’en allant en Orient. Autran n’avait alors que dix-neuf ans, et l’on sentait déjà, dans son Ode quelque chose du sentiment de celle d’Horace s’adressant au vaisseau qui emportait Virgile. L’Antiquité et la Mer furent ses deux muses. La Méditerranée natale lui semblant trop étroite, il fit passer dans ses vers les bruits plus profonds, les agitations plus vibrantes de l’Océan « avec l’âme humaine mêlée à l’immensité et plus grande qu’elle encore », comme l’a si bien dit Théophile Gautier à propos de son recueil la Mer publié en 1835, et qu’Autran fit réimprimer beaucoup plus complet en 1850.

Il était riche alors ; le succès de sa tragédie, la Fille d’Eschyle, jouée en mars 1818, à l’Odéon, et couronnée par l’Académie, lui avait reconquis la sympathie d’un oncle, très riche armateur, qui jusqu’alors l’avait dédaigneusement oublié dans sa mansarde. Il le fit revenir à Marseille, l’entoura de bien-être, et, en mourant, lui laissa toute sa fortune.

Autran n’en travailla pas moins. Marin dans les Poèmes de la mer, il se fit paysan dans ses recueils : Laboureurs et Soldats, la Vie rurale, Epitres rustiques. Théocrite, dont il devait traduire le Cyclope, l’inspirait, comme Eschyle auparavant l’avait inspiré pour sa tragédie.

Il eut ensuite une échappée très heureuse vers le moyen âge avec son volume héroïque, les Paladins.

L’Académie où il frappa trois fois l’accueillit, la troisième, en 1867, à la place de Ponsard.

Sur ses derniers jours il devint presque aveugle, mais n’en fut pas plus morose. C’est de la convulsion d’un éclat de rire qu’il mourut subitement, un jour qu’il lisait je ne sais quelle énormité grotesque de l’un de nos poètes les plus sérieux.

Le comique Philémon, un Grec comme lui, n’était pas mort autrement.