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BARBIER (AUGUSTE).

Voilà ce que le temps, ce vieillard sans amour,
De la tombe de Laure a laissé sur la terre ;
Voilà ce qu’il a fait de cette dame austère
Qu’un poète chanta jusqu’à son dernier jour.

Mais qu’importe, après tout, qu’il ne reste rien d’elle !
Le bon Pétrarque a fait sa mémoire immortelle,
Et rangé son beau corps à l’abri du trépas ;
Car ces pieux sonnets sont un tombeau splendide,
Où le temps usera toujours sa faux rapide,
Et que son large pied ne renversera pas.


IAMBE


Dante, vieux Gibelin ! quand je vois en passant
Le plâtre blanc et mat de ce masque puissant
Que l’art nous a laissé de ta divine tête,
Je ne puis m’empêcher de frémir, ô poète !
Tant la muia du génie et celle du malheur
Ont imprimé sur toi le sceau de la douleur !
Sous l’étroit chaperon qui presse tes oreilles,
Est-ce le pli des ans ou le sillon des veilles
Qui traverse ton front si laborieusement ?
Est-ce au champ de l’exil, dans l’avilissement,
Que ta bouche s’est close à force de maudire ?
Ta dernière pensée est-elle en ce sourire
Que la mort sur ta lèvre a cloué de ses mains ?
Est-ce un ris de pitié sur les pauvres humains ?
Ah ! le mépris va bien à la bouche de Dante,
Car il reçut le jour dans une ville ardente,
Et le pavé natal fut un champ de graviers
Qui déchira longtemps la plante de ses pieds :
Dante vit comme nous les passions humaines