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IAMBE.

Rouler autour de lui leurs fortunes soudaines ;
Il vit les citoyens s’égorger en plein jour,
Les partis écrases renaître tour à tour ;
Il vit sur les bûchers s’allumer les victimes ;
Il vit pendant trente ans passer des flots de crimes.
Elle mot de patrie à tous les vents jeté,
Sans profit pour le peuple et pour la liberté.
Dante Alighieri, poète de Florence !
Je comprends aujourd’hui ta mortelle souffrance,
Amant de Beatrix à l’exil condamné,
Je comprends ton œil cave et ton front décharné.
Le dégoût qui te prit des choses de ce monde,
Ce mal de cœur sans fin, cette haine profonde,
Qui te faisant atroce et le fouettant l’humeur,
Inondèrent de bile et ta plume et ton cœur.
Aussi, d’après les mœurs de la ville natale,
Artiste, tu peignis une toile fatale,
Et tu fis le tableau de sa perversité,
Avec tant d’énergie et tant de vérité
Que les petits enfants qui, le jour, dans Ravenne,
Te voyaient traverser quelque place lointaine,
Disaient, en contemplant ton front livide et vert :
Voilà, voilà, celui qui revient de l’enfer.


VENISE


Ah ! quand l’été jadis florissait dans les âmes,
Quand l’amour, cet oiseau qui chante au cœur des femmes,
Sur terre s’abattait de tous les coins du ciel ;
Que le vent parfumé portait l’odeur du miel ;
Au beau règne des fleurs, quand toute créature
Maniait noblement sa divine nature,
Venise, il était doux, sous les cieux étouffants,
D’aspirer ton air pur comme un de les enfants ;