Page:Fournier - Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1880.djvu/486

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Un cri s’élève à l’heure où la terre sommeille.
Les cieux l’ont entendu. L’Ebre prèle l’oreille ;
Le Douro le répète ; et d’un pas de géant
Le Tage aux flots guerriers le porte à l’Océan.

Est-ce un cri de vautour qui cherche sa pâture’.
Un lion d’Aragon qui lèche sa blessure ?
Ce n’est pas un lion, ce n’est pas un vautour :
C’est Saragosse en deuil, sur sa plus haute tour,
Au milieu de ses sœurs, qui crie : A moi, Castille !
Aragon, levez-vous ! Es-tu debout, Séville ?

Chantez vos chants de mort, Andujar et Burgos,
Valence, qui du Cid avez gardé les os,
Sagonte mon aînée ; Abrantès et Tudèle,
Médine la Moresque, et Tolède la Belle.
Toi, sainte Lérida, monte sur ton clocher.
Et dis si de les monts on peut voir mon bûcher.

Lisbonne, à pleines mains, dans le flot qui t’enserre,
Sans faute as-tu rempli le seau de ta colère ?
Province de Murcie, as-tu, pendant les nuits,
De fiel et de ciguë empoisonné ton puits ?
Es tu prête, Tortose ? et toi, sur tes rivages,
Trafalgar, as-tu ceint ta ceinture d’orages ?

Cordoue, as-tu caché le soir, en souriant.
Sous ton manteau d’émir ton poignard d’Orient ?
Jeune et Vieille Castille ! Algarve ! Estramadure !
La louve d’Aragon demande sa pâture.
Baylen au toit de chaume, en ton roc de granit,
Pour y couver sa honte, à l’aigle fais son nid !

Ségovie, en ton champ hâle-toi de descendre !
Ronge tes ossements ; couvre-toi de ta cendre !
Grenade, bois ton sang aux cris des guérillas.
Comme fait la tigresse au penchant de l’Allos.