moins imprégnés, Agrippa l’appelle l’esprit du monde ; ce sont les rayons du soleil et des autres astres qu’il charge de le distribuer, comme autant de canaux, dans toutes les parties de la nature. Plus l’esprit du monde est accumulé dans un corps, et dégagé de la matière proprement dite, plus ce corps est soumis à l’action de l’âme, à la force de la volonté, soit de la nôtre, soit de cette force universelle qui, sous le nom d’âme du monde, est sans cesse occupée à répandre partout les vertus vivifiantes émanées de Dieu. Ce principe est la base de l’alchimie ; car l’alchimie n’a pas d’autre tâche que d’isoler l’esprit du monde des corps où il est le plus abondant, pour le verser ensuite sur d’autres corps moins richement pourvus, et qui, par cette opération, deviennent semblables aux premiers : c’est ainsi que tous les métaux peuvent être convertis en or et en argent ; et Agrippa nous assure avec le plus grand sang-froid qu’il a vu parfaitement réussir, dans ses propres mains, cette œuvre de transformation : mais l’or qu’il a fait n’a jamais dépassé en quantité celui dont il avait extrait l’esprit. Il espère qu’à l’avenir on sera plus habile ou plus heureux (Ubi supra, lib. II, c. xii-xv).
Le livre intitulé : de l’incertitude et de la vanité des sciences (de Incertitudine et vanitate scientiarum) nous offre un tout autre caractère. Composé pendant les dernières années, les années les plus mauvaises de la vie de l’auteur, il est l’expression d’une âme découragée, portée au scepticisme par l’injustice des hommes, par le dégoût de l’existence et l’évanouissement des plus nobles illusions, celles de la science. Il a pour but de prouver « qu’il n’y a rien de plus pernicieux et de plus dangereux pour la vie des hommes et le salut des âmes, que les sciences et les arts. » Au lieu de nous consumer en vains efforts pour lever le voile dont la nature et la vérité se couvrent à nos yeux, nous ferions mieux, dit Agrippa, de nous livrer entièrement à Dieu et de nous en tenir à sa parole révélée. Cependant, ni ce mysticisme, ni ce scepticisme absolu qui paraît lui servir de base, ne doivent être pris à la lettre. Au lieu du procès de l’esprit humain, Agrippa n’a fait réellement qu’une satire contre son temps, qu’une critique amère, mais pleine de verve, ue hardiesse, et généralement de vérité, contre l’état des sciences au commencement du xvie siècle. Elles sont toutes passées en revue l’une après l’autre, la philosophie, la morale, la théologie et ces sciences prétendues surnaturelles, auxquelles il avait consacré avec tant d’ardeur les plus belles années de sa vie. La philosophie, telle qu’elle existait alors, c’est-à-dire la scolastique, n’est à ses yeux qu’une occasion de frivoles disputes, et une servilité honteuse envers quelques hommes proclamés les dieux de l’École : par exemple, Aristote, saint Thomas d’Aquin, Albert le Grand. La morale ne repose sur aucun principe évident par lui-même ; elle n’a pour base que l’observation de la vie commune, l’usage, les mœurs, les habitudes ; en conséquence, elle doit varier suivant les temps et les lieux. La magie, l’alchimie et la science de la nature ne sont que des chimères inventées par notre orgueil. Enfin, ce n’est pas envers la théologie qu’Agrippa se montre le moins sévère ; il s’attaque avec tant de violence à certaines parties du culte, aux institutions monastiques ; au droit canon, qu’il n’aurait sans doute pas échappé au bûcher sans les soucis que donnaient alors les progrès toujours croissants de la Réforme. Ce n’est pas seulement une œuvre de critique qu’il faut chercher dans cet ouvrage éminemment remarquable ; c’est aussi un monument de solide érudition, et l’on y rencontre souvent, sur l’origine de certains systèmes, les vues les plus profondes et les plus saines. Accueilli par les uns comme toute une révélation, par les autres comme une œuvre infâme, tel fut l’intérêt qu’il excita partout, qu’en moins de huit ans il eut sept éditions. Il n’est certainement pas étranger au mouvement de régénération que nous voyons plus tard personnifié dans Bacon et dans Descartes On lui pourrait trouver plus d’une analogie avec le de Augmentis et dignitate scientiarum. Cependant, il ne faut pas être injuste, bien qu’Agrippa lui-même nous en donne l’exemple, envers la Philosophie occulte. Si l’un de ces deux écrits paraît avoir en même temps annoncé et prépare l’avenir, l’autre répand souvent de vives lueurs sur le passé ; il nous montre ce que sont devenues au commencement du xvie siècle, combinées avec les idées chrétiennes, ces doctrines ambitieuses et étranges dont il faut chercher l’origine dans l’école d’Alexandrie et dans la kabbale. On peut même avancer que le dernier a plus de valeur pour l’histoire que le premier.
Nous avons dit que le de Incertitudine et vanitate scientiarum a eu en quelques années, depuis la première publication de cet écrit jusqu’à ia mort d’Agrippa, sept éditions. Ces sept éditions sont les seules qui ne soient point mutilées : elles parurent, la première sans date, in-8, les autres à Cologne, in-12, 1527 ; à Paris, in-8, 1531, 1532, 1537 et 1539. Cet ouvrage a été deux fois traduit en français : d’abord en 1582 par Louis de Mayenne Turquet, et par Gueudeville en 1726. Il en existe aussi des traductions italiennes, allemandes, anglaises et hollandaises.
Le traité de occulta Philosophia a été publié une fois sans date, puis à Anvers et à Paris en 1531, à Malines, à Bâle, à Lyon, in-f°, 1535. Il a été traduit en français par Levasseur, in-8, Lyon, sans date. Outre ces deux ouvrages principaux, Agrippa a publié aussi un Commentaire sur le grand art de Raymond Lulle, qu’il se reproche dans son dernier ouvrage ; un petit traité intitulé de Triplici ratione cognoscendi Deum, une dissertation sur le mérite des femmes, de Feminei sexus praecellentia, traduite en français par Gueudeville. Tous ces divers écrits, et plusieurs autres de moindre importance, ont été réunis dans les œuvres complètes d’Agrippa (Agrippœ opp. in duos tomos digesta), in-8, Lyon, 1550 et 1660. Dans cette édition complète, on a ajouté à la philosophie occulte un quatrième livre, qui n’est point authentique. On peut consulter Monin, de H. Corn. Agrippa et P. Ramo Cartesii praenuntiis, in-8, Paris, 1833.
AILLY (Pierre d’), Petrus de Alliaco, chancelier de l’Université de Paris, évêque de Cambrai et cardinal, légat du pape en Allemagne, aumônier du roi Charles VI, n’a pas moins d’importance dans l’histoire de la philosophie scolastique qu’il n’en eut pendant sa vie au milieu des événements du grand schisme, sur lesquels il exerça quelque influence, et du concile de Constance dont il présida la troisième session. Né à Compiègne en 1350, il étudia au collège de Navarre, dont plus tard il fut le grand maître ; et, après avoir obtenu successivement toutes les dignités que nous venons d’énumérer, il mourut en 1425. Parmi les ouvrages nombreux qu’il a laissés, quelques-uns seulement se rapportent à l’étude de la philosophie, qui ne se séparait pas, à cette époque ; de la science théologique. Le principal, celui dont nous tirerons en grande partie l’exposition rapide de sa doctrine, est le commentaire qu’il écrivit sur le Livre des Sentences de Pierre Lombard, commentaire qui n’a toutefois
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