Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/168

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reuse. Le souvenir d’une réelle douleur physique se mêle encore aujourd’hui, comme une souffrance ridicule, au sentiment confus de mon chagrin. Je donnais le bras à Julie, et c’est moi qui la conduisis à travers la longue église encombrée de curieux, suivant l’usage importun des provinces. Elle était pâle comme une morte, tremblante de froid et d’émotion. Au moment où fut prononcé le oui irrévocable qui décidait du sort de Madeleine et du mien, un soupir étouffé me tira de la stupeur imbécile où j’étais plongé. C’était Julie qui se cachait le visage dans son mouchoir et qui sanglotait. Le soir, elle était encore plus triste, si c’est possible ; mais elle faisait des efforts inouïs pour se contraindre devant sa sœur.

Quelle étrange enfant c’était alors : brune, menue, nerveuse, avec son air impénétrable de jeune sphinx, son regard qui quelquefois interrogeait, mais ne répondait jamais, son œil absorbant ! Cet œil, le plus admirable et le moins séduisant peut-être que j’aie jamais vu, était ce qu’il y avait de plus frappant dans la physionomie de ce petit être ombrageux, souffrant et fier. Grand, large, avec de longs cils qui n’y laissaient jamais paraître un seul point brillant, voilé d’un bleu sombre qui lui donnait la couleur indéfinissable des nuits d’été,