Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tensité d’un souvenir que j’avais eu la bonne foi de croire assoupi. Peu à peu, comme une flamme qui se rallume, je sentis naître en moi cet ardent réveil. Je marchais sous les arbres, discourant tout seul, et faisant sans le vouloir le mouvement d’un homme enchaîné longtemps qui se délivre.

« Comment ! me disais-je, elle ne saura pas même que je l’ai aimée ! elle ignorera que pour elle, à cause d’elle, j’ai usé ma vie et tout sacrifié, tout, jusqu’au bonheur si innocent de lui montrer ce que j’ai fait dans l’intérêt de son repos ! Elle croira que j’ai passé à côté d’elle sans la voir, que nos deux existences auront coulé bord à bord sans se confondre ni même se toucher, pas plus que deux ruisseaux indifférents ! Et le jour où plus tard je lui dirai : « Madeleine, savez-vous que je vous ai beaucoup aimée ? » elle me répondra : « Est-ce possible ? » Et ce ne sera plus l’âge où elle aurait pu me croire ! »

Puis je sentais qu’en effet nos deux destinées étaient parallèles, très-rapprochées, mais irréconciliables, qu’il fallait vivre côte à côte et séparés, et que c’était fini de moi. Alors j’imaginais des hypothèses. Il y avait des : Qui sait ? qui surgissaient aussitôt comme des tentations. À quoi je répondais : Non, cela ne sera jamais ! Mais de ces sup-