Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/228

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M. de Nièvres était chasseur, et c’est à lui que je dois de l’être devenu. Il me dirigeait avec beaucoup de cordialité dans ces premiers essais d’un exercice que depuis j’ai passionnément aimé. Quelquefois Mme de Nièvres et Julie nous accompagnaient à distance ou nous attendaient sur les falaises pendant que nous faisions de longues battues dans la direction de la mer. On les apercevait de loin, comme de petites fleurs brillantes posées sur les galets, tout à fait au bord des flots bleus. Quand le hasard de la chasse nous avait entraînés trop avant dans la campagne ou retenus trop tard, alors on entendait la voix de Madeleine qui nous invitait au retour. Elle appelait tantôt son mari, tantôt Olivier ou moi. Le vent nous apportait ces appels alternatifs de nos trois noms. Les notes grêles de cette voix, lancée du bord de la mer dans de grands espaces, s’affaiblissaient à mesure en volant au-dessus de ce pays sans écho. Elles ne nous arrivaient plus que comme un souffle un peu sonore, et quand j’y distinguais mon nom, je ne puis vous dire la sensation de douceur et de tristesse infinies que j’en éprouvais. Quelquefois le soleil se couchait que nous étions encore assis sur la côte élevée, occupés à regarder mourir à nos pieds les longues houles qui venaient d’Amérique.