Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/281

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vergure sur le ciel immuablement bleu et la reproduisant dans la mer calme. J’étais seul pour représenter à cette heure-là, dans un lieu unique, la petitesse et les grandeurs d’un homme vivant. Je jetai au vent le nom de Madeleine, je le criai de toutes mes forces pour qu’il se répétât à l’infini dans les rochers sonores du rivage ; puis un sanglot me coupa la voix, et je me demandai, la confusion dans le cœur, si les hommes d’il y a deux mille ans, si intrépides, si grands et si forts, avaient aimé autant que nous !

J’avais annoncé plusieurs mois d’absence : je revins au bout de quelques semaines. Rien au monde ne m’aurait fait prolonger mon voyage un seul jour de plus. Madeleine me croyait encore à quatre ou cinq cents lieues d’elle, quand j’entrai, un soir, dans un salon où je savais la trouver. Elle fit un mouvement de toute imprudence en m’apercevant. Fort peu de gens connaissaient mon absence. On disparaît si commodément dans ce grand Paris, qu’un homme aurait le temps de faire le tour de la terre avant qu’on se fût aperçu de son départ. Je saluai Madeleine comme si je l’avais vue la veille. Au premier regard, elle comprit que je revenais à elle épuisé, affamé de la voir et le cœur intact.